En Afrique Sub-saharienne, les fraudes et évasions fiscales sont estimées chaque année à des centaines de milliards de dollars américains. Concernés aussi par cette fuite à grande échelle des capitaux, dans un contexte de réduction drastique de l’aide extérieure au développement, les pays de l’UEMOA et de la CEDEAO sont engagés depuis décembre 2019, dans le Programme d’appui à la transition fiscale (PATF), destiné, in fine, à favoriser plus de mobilisation de ressources internes suffisantes pour financer le développement des Etats.
La Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), diversement pratiquée à ce jour, tient une place centrale dans ce processus transitionnel fiscal, avec l’élaboration d’un guide en bonne et due forme qui a fait l’objet, ces 2, 3 et 4 août 2021 à Ouagadougou, d’une validation par les représentants des Etats membres CEDEAO/UEMOA et ceux de l’assistance technique LINPICO.
Ils étaient une douzaine d’experts, 8 représentants des Etats et des assistants techniques, à prendre part du 2 au 4 août 2021 à Ouagadougou, à l’atelier de restitution du guide pratique sur la TVA à l’intention des administrations fiscales des Etats membres de la CEDEAO et de la Mauritanie.
C’est Seglaro Abel Somé, secrétaire général du Ministère de l’économie, des finances et du développement (MINEFID), représentant le ministre Lassané Kaboré, qui a présidé l’ouverture de l’atelier, saluant à juste valeur sa pertinence, exprimant les encouragements des autorités aux participants au regard des enjeux pour les Etats de la région, en cette période difficile de reprise économique post- Covid-19.
«La mise en œuvre du Programme d’appui à la transition fiscale constitue sans aucun doute un engagement important de nos organisations régionales pour conforter la résilience de nos administrations fiscales dans un contexte marqué encore par les effets persistants de la COVID 19. La maitrise de l’impact de cette crise sur nos finances publiques requiert l’adoption de mesures courageuses à l’échelle communautaire et nationale et la nécessité d’une coordination forte devient urgente au niveau de l’UEMOA, de la CEDEAO. Dans ce contexte, le PATF est susceptible d’apporter des avancées concrètes aux Etats membres afin de surmonter les difficultés engendrées par la crise actuelle, en restant concentrée sur ses objectifs initiaux qui sont :
-l’appui des politiques régionales de libéralisation des échanges,
-la construction de l’Union douanière de la CEDEAO, l’application du Tarif Extérieur Commun,
-la facilitation a la mise en œuvre de l’Accord de partenariat économique (APE) régional», a-t-il indiqué.
Aussi, le commissaire de la CEDEAO en charge du département Commerce, Union douanière et libre circulation des personnes, Konzi Tei, est-il venu passer un message d’encouragement aux participants, soulignant la nécessité pour les Etats membres de réussir les réformes fiscales en cours pour une meilleure participation à la Zone de libre échange continentale africaine (ZLECAf).
2ème étape du processus de validation du Guide TVA
«La baisse continue des recettes douanières, en pourcentage du PIB, pourrait devenir intenable en Afrique de l’Ouest. Ceci interpelle les Commissions de l’UEMOA et de la CEDEAO et les Etats membres à conjuguer leurs efforts pour une mobilisation optimale des recettes fiscales, tout en soutenant une croissance économique forte», a indiqué Daniel Saha, chef de mission du Programme d’appui à la transition fiscale en Afrique de l’Ouest (PATF) dans son mot introductif.
D’où la tenue du présent atelier qui s’inscrit dans le cadre du PATF, en cours de mise en œuvre depuis décembre 2019 avec un appui financier de la Délégation de l’Union européenne à hauteur de 10 millions d’euros et sur une période de trois ans.
«Le guide est un outil pour mieux gérer la TVA qui pour nous est un impôt leader pour l’ensemble des Etats membres de la CEDEAO. Il donne aux praticiens des notions sur la TVA, ses champs d’application et décline l’ensemble des règles fiscales qui seront appliquées par les acteurs y compris les sociétés civiles commerciales sous la supervision des parlementaires ainsi que les Organisations de la société civile», explique Jules Tapsoba, assistant technique du PATF, en charge de la gestion des dépenses fiscales.
Ainsi, les trois jours de travaux ont permis entre autres aux participants de raffiner les concepts et règles de la TVA ; d’éliminer les mécanismes et trous qui permettaient aux initiés d’échapper à la TVA ; et d’avoir la même interprétation des règles en matière de TVA dans la sous-région Ouest Africaine.
«Les représentants des Etats membres se sont prononcés, les autres participants ont fait le point des limites de la TVA et les solutions à y apporter. Nous espérons que ce guide à finaliser et à soumettre à la validation de l’ensemble des Etats membres sera véritablement un outil aussi bien au service des administrations douanières que des acteurs privés, en ce sens qu’il devra permettre une interprétation harmonisée de la TVA», s’est félicité, dans son mot de clôture, Salifou Tiemtoré, directeur de l’Union douanière et Fiscalité intérieure de la CEDEAO.
«Le guide TVA dont nous avons participé ici à la deuxième étape de validation, fera en sorte que tous les praticiens de la TVA des Etats membres de la CEDEAO aient la même compréhension et pratique en la matière. Cela présente des avantages aussi bien pour les administrations fiscales que pour les entreprises de la région», a confirmé Magatte Diakhate, chef du Bureau de la législation fiscale de la Direction de la législation et de la coopération internationale du Sénégal.
Des milliards de dollars d’évasions fiscales
Au-delà de la Zone CEDEAO et UEMOA, en Afrique Sub-saharienne, l’on estime les évasions fiscales annuelles à plusieurs centaines de milliards de dollars américains. Cela donne une idée de l’énorme manque à gagner au niveau des budgets des Etats de la région, dans un contexte de réduction chronique et drastique de l’aide publique au développement.
Cette fuite des capitaux est favorisée en partie par la grande générosité des Etats dans l’octroi des exemptions fiscales et d’autres avantages parafiscaux. Ce qui ne permet pas aux Etats de disposer d’assez de ressources pour financer les services publics.
Pour lutter contre ces fraudes et évasions fiscales à grande échelle, l’assistante technique Bazahica Renilde, a souligné la nécessité d’une stratégie globale au niveau des acteurs des administrations fiscales et ceux des administrations douanières. Et de citer l’exemple du Nigéria où les ressources collectées par les agents des administrations fiscales peuvent représenter parfois trois fois celles des agents des régies douanières.
Les Etats ne sont pas logés à la même enseigne à la TVA
Avec les énormes problèmes de mobilisation des ressources dans la zone CEDEAO et UEMOA, la bonne pratique de la taxe sur la valeur ajoutée se présente comme une solution. Mais, force est de constater aujourd’hui que les Etats de la CEDEAO sont loin d’être logés à la même enseigne en la matière.
«Nous avons d’un côté des Etats comme ceux de la plupart de l’UEMOA qui ont une vieille tradition de pratique de la TVA (en moyenne 18%) et de l’autre, des Etats comme le Nigéria qui la pratiquement faiblement (7,5%). Et il y a aussi cette catégorie des Etats comme la Guinée Bissau ou le Libéria qui ne la pratiquent encore. Mais, les choses progressent dans le bon sens», a confié Habass Habasso Traoré, directeur des finances publiques et de la fiscalité intérieure de l’UEMOA.
«Je suis vraiment contente d’assister à cet atelier sur la TVA. Le Nigéria est en retard mais les autorités sont très engagées sur la question. Nous sommes passés d’un taux de 5% à 7,5% de TVA. Nous allons continuer à progresser sur la question», a assuré pour sa part, Madame Lovette Ononuga, directrice intérimaire en charge de la TVA à l’autorité fiscale du Nigéria à Abuja.
Cas spécifique de la Guinée Bissau
Pour le cas spécifique de la Guinée Bissau où la TVA n’est pas encore pratiquée, un expert en fiscalité en la personne du Burkinabè Barthelemy Dabré a été détaché, dans le cadre du PATF, à Bissau pour accompagner ce pays de l’UEMOA et de la CEDEAO, à instaurer la TVA et à se mettre en conformité avec les normes communautaires.
A écouter l’expert Dabré, les lignes, avec son appui technique, sont en train de bouger dans le pays. «Un texte instituant la TVA a déjà été adopté dans ce sens en conseil des ministres. Il fera prochainement l’objet d’adoption par le Parlement», a- t-il précisé. Et de saluer à sa juste valeur le présent atelier de validation du guide TVA : «Plus que tous les autres pays, la Guinée Bissau est plus qu’intéressé par ce guide, que ce soit pour la pratique ou pour les dépenses fiscales, au regard notamment de sa situation».
40% de mise en œuvre du PATF
Au regard de l’importance de la TVA dans la mobilisation des ressources pour financer le développement dans les Etats de la CEDEAO, l’on peut avancer sans conteste que le Programme d’appui à la transition fiscale (PATF) joue un rôle de salubrité fiscale dans le sens qu’il contribuera à lutter contre la fraude fiscale.
Selon D. Ismaël Amoussa, directeur régional de Linpico, agence d’exécution, la mise en œuvre du PATF depuis son lancement fin décembre 2019 a été aussi perturbée par la crise de la maladie à coronavirus de 2020. Et de rassurer quant à la détermination à conduire le Programme à bon port avec à ce jour un taux d’exécution de 40% malgré cet obstacle sanitaire de la Covid-19.
«Nous avons beaucoup progressé dans la mise en œuvre du PATF. Il y a une bonne disposition d’esprit au niveau des commissions de l’UEMOA et de la CEDEAO, ainsi qu’au niveau des Etats membres qui sont vraiment engagés sur la question. Les pays de l’UEMOA qui ont une tradition de la pratique de la TVA sont engagés. Les pays comme le Nigéria qui ont une moindre pratique de la TVA sont engagés à 100%. Le processus au niveau de la Guinée Bissau qui ne la pratique pas encore, est très avancé. Bref, tout le monde est conscient que l’Etat n’a pas assez de moyens, qu’il faut mobiliser des ressources fiscales pour financer le développement. Et de ce fait, tous les Etats membres sont engagés là- dessus», renchérira Daniel Saha, chef de mission du Programme d’appui à la transition fiscale en Afrique de l’Ouest.
Vers aussi un guide de dépense fiscale
Dans le cadre du PATF, il est aussi envisagé, en plus du guide de la TVA, l’élaboration et la validation d’un guide régional sur les méthodologies d’évaluation des dépenses fiscales.
«Il y aura un guide méthodologique d’évaluation de la dépense fiscale. Dans les premiers travaux que nous avons menés sur la question, il ressort des insuffisances. Il importe d’aller vers l’intégration des aspects socio-économiques dans la gestion des dépenses fiscales. Pour la démarche, ce sera dans le même processus que celui du guide sur la TVA», a expliqué Jules Tapsoba, assistant technique du PATF, en charge de la gestion de la dépense.
En clair, il ne suffit pas de collecter des ressources fiscales suffisantes via la bonne pratique de la TVA pour avoir un bon financement par des ressources internes des projets et programmes de développement. Encore faut-il que ces ressources internes mobilisées soient effectivement consacrées à la mise en œuvre adéquate des projets et programmes des Etats. Et c’est là tout l’enjeu de cette sorte de mécanisme de garantie du financement du développement qu’est le guide de dépense fiscale envisagé.
Faut-il le rappeler, financé par l’Union européenne à hauteur de 10 millions d’euros sur une période de 3 ans, le PATF vise 4 objectifs essentiels, notamment :
-l’amélioration de la gestion de la fiscalité intérieure des Etats membres avec une meilleure coordination à travers une gestion efficace de la TVA et une maîtrise des dépenses fiscales ;
-le renforcement de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, les flux financiers illicites et la corruption ; et la contribution à l’accroissement des recettes fiscales
-le renforcement au niveau des commissions UEMOA/CEDEAO et des Etats membres du système de coordination, de suivi et d’évaluation des programmes de transition fiscale ;
-l’effectivité et l’implémentation de la TVA selon les normes communautaires en Guinée Bissau, ainsi qu’au Libéria et Nigéria.
Martin Philippe & Alain Belem